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par LJienniijue 6^ J.K.fiujsm^ns
PI ERROT
SCE PT I QU E
CETTE PANTOMIME A ETE LMPRIMEE
SUR LES
Presses de J. Cbéref , imprimeur à Paris
TIRAGE :
Trois cent douze Exemplaires, tous numérotés
JUSTIFICATIOX DU TIRAGE
I Exemplaire sur parchemiu, n° i.
5 — sur papier rose, n° 2 à 6.
46 — — du Japon fort, glacé, n" 7 à 52.
260 — — Sevdiall Mill, n'^ 53 à 312.
W 2.3.0
par LJienniane 4- J.K.fiujsm^ns
PIERROT
Sce
ue
PANTOMIME
PAR
LÉON HENNiaUE & J.-K. HUYSMANS
DESSIXS DE JULES CHERET
PARIS
Librairie ancienne et moderne
EDOUARD ROUVEYRE
I, RUE DES SAIXTS-PÈRES, I
I881
If
FEB 6 1970
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A L'EXCELLENT PEINTRE
A. GUILLEMET
Ses ^iiiis
LÉON HENXIQ.UE J.-K. HUYSMANS
^u.
PERSONNAGES
Pierrot.
Un tailleur.
Un coiffeur.
Un décrotteur.
Un iM.\RBRIER.
Un go.m.meux.
•4.
La sidonie.
La THÉRÈSE.
Une vieille femme.
Invités, Gens du Pciijilc, Enfants, Croque-Morts, Pompiers
- ^js-^t^-^
PIERROT SCEPTIQUE
Oesi dans une ville, sur uue petite place arrondie
en demi-lune ci qu'enferment, à droite un cabaret,
le porche d'un église, à gauche une boutique de
mercerie, un éventaire d'immortelles , au fond,
Ventrée de la maison de Pierrot, Vofficine d'un
coiffeur.
Le cabaret est roiioe. mrni de barreaux autour
desquels festonnent des pampres en tôle avec des
grappes de raisins tout bleus. Les joies furieuses des
pochardiscs ont saccagé les vitres.
La boutique du mercier possède la friperie des
marmailles : leurs tabliers, leurs bourrelets, leurs
PIERROT SCEPTIQ.UE
coilt\<;, iVcloiiuaiits Uilmas pour uouvcaux-ucs, de
courtes lauges, quatre paulaloiis iiùx fentes lu'cessaires.
Le magasin du fleuriste étale tous les ridicules
cmhlcmes des douleurs humaines : des cerceaux
d'iinnwrtclles, des couronnes en perle avec des mains
de plâtre enlacées au centre, des feuillages de taffetas,
des médaillons oh les initiales des défunts, fabriquées
avec des cheveux, semblent encore assouplies et
poissées par les philocomes.
Des tentures noires, écussonnées d'un P d'argent,
encadrent l'entrée de la maison où gît, sur un
tréteau, dans sa boîte éclairée par six chandelles, le
corps de dame Pierrot, morte à la fleur de l'âge;
cependant que, à côté, dans la devanture vert pomme
d'un perruquier, toute blanche sous ses cheveux
orange, tourne, tourne, comme eu un mouvement
ralenti de valse, une chcrissahlc et silencieuse sidonie.
Au-dessus du cercueil de sa femme, dans sa
chambre à coucher tendue de papier clair, Pierrot
se vêt de noir pour la cérémonie. Des mendiants,
fleuris d'ulcères et damassés de dartres, ca usent
devant réoTisc. Les cloches sonnent à toute volée.
SCKNE PREMIERE
PIERROT, LE TAILLEUR
Dunint les deux premières scènes, ou verra des
gens il longs cheveux, éi barbes incultes, entrer
P A N T O M I .M E
nu rei-de-chaussce du coiffeur et en sortir la tète rase
et les joues nues.
Au lever du rideau , le chef blême de Pierrot
émerge d'un sac de percaline noire qui l'enveloppe
du col aux genoux. Il écoute attentivement la
réclame que lui mime un tailleur de Poméranie.
D'ailleurs l'invention est simple ! mais il s'agissait
de la trouver. Étant donné un sac de percaline,
en tirer un habit de drap noir, tel était le
problème.
De là, coups de ciseaux dans le devant, dans
le derrière, dans le flanc gauche, dans le flanc
droit, en haut, en bas, partout. Un, deux, trois,
passez muscade! l'habit est prêt.
(A mesure qu'il s'exprime, le tailleur avec rapidité
coupe l'habit sur Pierrot)
Pierrot va se regarder dans la glace de son
armoire et gambade, prix d'une joie folle. Cette
rapide manière de fliçonner un habit lui plait; il
félicite l'artiste, lui presse les mains, l'étreint et
le pousse vigoureusement vers la porte, mais
celui-ci s'arc-boutant tire de sa poche une note
sur laquelle, en gros caractères, s'étale le chiftre
MILLE FRANCS
Pierrot demeure béant, puis sa stupeur s'achève
en un sourire. Ah! c'est mille francs, gesticule-
t-il?... Comment, ce n'est que mille francs? pas
plus?... \'ous êtes bien honnête, j'ai justement
PIERROT SCEPTiaUE
des tas d'or dans mon armoire. Approchez, mon
ami, approchez, la vue n'en coûte rien.
Dix fois le tailleur salue Pierrot, dix fois il
s'incline jusques à terre et trouve sa platitude à
peine suffisante. Le maître de la maison entrouve
l'armoire ; des monceaux de pièces de vingt francs
fulgurent.
Le tailleur éperdu sanglote dans les bras de
Pierrot.
— Tout doux, lui fait Pierrot, vos larmes
salissent mon habit... Portez cette chaise à
l'autre bout de la chambre... secouez ce tapis...
ouvrez la porte de ce placard, plus large... plus
large encore... c'est bien.
Et vlan ! d'un formidable coup de pied au cul,
il' le jette dans le placard et referme la porte sur
lui.
SCÈNE DEUXIÈME
PIERROT (seul)
Puisse le ciel traiter ainsi tous ses créanciers !
Sur ces entrefaites, petit à petit, la voix des
cloches de l'église s'affaiblit. Leur babil s'envole
plus atténué chaque fois, puis s'allanguit et
meurt en l'imperceptible soupir d'un enfant qui
dort.
« Ne serait-il pas temps d'achever ma toilette,
pense Pierrot? Oh! comme ma femme, dans son
cercueil, doit s'ennuyer!... lUlc était si joyeuse à
table!... si polissomie !... {Il montre le lit)
P A X T O M I M E 13
Morte ! . . . Elle est au ciel peut-être. . , tant pis ! sur
ce, faisons-nous coiffer.
Il saisit un balai, se penche et brise un des
carreaux de la devanture du coiffeur, à seule fin
d'attirer son attention. (Fracas de vitres).
SCÈNE TROISIÈME
PIERROT, LE COIFFEUR
Celui-ci sort précipitamment de sa boutique;
Pierrot le renverse d'un coup de balai.
Le coiffeur est un petit homme jaune comme
un coing et velu comme un ours. 11 croit à son
métier; aussi, à peine debout, encore très ahuri,
prend-t-il à pleine main les poils du balai, et
s'apprête-t-il à leur faire subir une coupe
raisonnée. Mais Pierrot retire son balai. Il
salue froidement le coiffeur.
— Montez.
— A vos ordres.
— Avez-vous votre trousse?
— Toujours.
Le coiffeur file le long du cadavre qu'il salue ,
monte et se trouve en face de Pierrot dont la
mine l'impressionne.
— Oui, je comprends. ,., gesticule le coiffeur. . . ,
cette pauvre madame Pierrot!... mes sympathies
douloureuses vous sont acquises.
Cette phrase blesse Pierrot. Il n'a besoin des
sympathies douloureuses de personne. Si sa
14 PIERROT SCEPTiaUE
femme a commis la bêtise de mourir, il n'en est
en aucune foçon responsable. D'autres femmes
errent, en quête du Monsieur qui acceptera leurs
amoureuses exigences, il saura choisir parmi
elles, voilà! et vive la ligne!
— Très-bien, affirme le coiffeur.
— A'otre opinion m'importe fort peu, et quant
à vos condoléances, elles m'exaspèrent. Un mot
de plus et je vous giffle. Dépêchons, il s'agirait
de m'arranger la tête.
Le coiffeur approche une chaise ; Pierrot
s'assied et pour la première fois peut-être, cet
artiste découvre que son client est chauve.
■ — Comment faire ?
Il passe devant Pierrot et simule le geste d'un
homme qui pousse une boule de billard. Pierrot
sourit, doucement flatté. « Q.ue de gens voudraient
être à sa place !... car enfin à quoi sen-ent les
cheveux quand l'heure du déduit sonne?... Les
baisers ne courent-ils pas mieux sur l'ivoire des
crânes ?
— C'est vrai!... mais comment fliire?
— Coiffez, ça m'est égal.
— J'ai justement sur moi de la pommade.
— Oui, mais quelle pommade? (/e coiffeur la
lui inoutre).
— De la blanche? jamais.
Pierrot sait ce que l'on doit aux morts. C'est
de la pommade noire qu'il lui faut..., de la
pommade de deuil!
r A N T O M I M E I 5
— Il n'en existe pas, répond le coiffeur.
— Qu'importe!... on en invente.
Et Pierrot menace le coiffeur de le rosser
comme plâtre.
Alors , affolé , celui - ci s'arrache plusieurs
poignées de cheveux qu'il éparpille. Mais voici
que passe un décrotteur. Se frapper le front,
rattrapper quelques-uns des cheveux qui volent
et se les remettre sur la tète, empoigner les
brosses et le cirage de l'auvergnat, remonter vers
Pierrot comme une flèche, tout cela pour le
merlan est l'affaire d'une seconde.
Cependant Pierrot s'est endormi.
Le coiffeur trempe son doigt dans la boîte à
cirage, frotte l'une contre l'autre en un mouve-
ment circulaire les paumes de ses mains et dépose
l'enduit ainsi fondu sur le crâne glabre de Pierrot,
puis il prend ses brosses et se met à lui cirer le
sinciput, à tour de bras comme une paire de
bottes.
Pierrot s'est réveillé. D'abord satisfait par le
chatouillement, il a manifesté son plaisir par des
grimaces presque lascives, mais peu à peu une
intolérable cuisson transforme le cours de ses
idées, et soudain , menaçant de prendre feu, sa
tête déjà semblable à du cuir verni , il bondit sur
le coiffeur qui, battu et roué, tombe dans la rue
et se sauve.
(-4 ce moment les premiers iui'ités paraissent).
l6 PIERROT SCEPTIQUE
SCÈNE QUATRIÈME
PIERROT, INVITÉS, CROaUE-MORTS
Le premier groupe des invités entre par la
droite , le second par la gauche ; ils se saluent
profondément, puis hommes et femmes, tous en
deuil, se pressent les mains, s'essuient les yeux,
et, quittant leur air affligé, ricanent.
Pierrot pousse des hurlements de douleur, on
se montre sa chambre d'un air navré; lui, l'effet
produit, se tape les cuisses et rit aux larmes.
Arrivent d'autres invités , après un nouvel
échange de politesses, tous montent chez Pierrot.
Grave, dans une posture napoléonienne, la
seringue de la défunte à la main, il les attend. Il
embrasse les femmes, repousse les vieillards,
néglige les hommes, se fciit renifler sur la main
par les enfants.
Sans cesse des invités gravissent l'escalier, c'est
une marée qui envahit la chambre. Pierrot recule,
cerné de toute part; le flot finit par le clouer
contre la muraille. Alors il brandit sa seringue, la
braque contre les invités. Ceux-ci d'abord
prennent la chose en plaisanterie, mais lui voyant
tirer le piston, ils s'effarent. L'eau jaillit et frappe
au visage le premier rang. Le jet tournant d'une
mitrailleuse ne les fliucherait pas moins. On
roule, on se relève, on fuit vers l'escalier; la
PANTOiMIME 17
seringue crache, inépuisable. Pêle-mêle on finit
par déboucher sur la place.
Les ordonnateurs funèbres sont à leur poste,
recommandent le calme. Pierrot les a vus et il
descend, austère, presque triste.
Les croque-morts empoignent la bière. En
route pour le Père-Lachaise !
— Passez, dit Pierrot aux invités... Je sais bien
que ce n'est pas la coutume, mais pour une fois.
On s'incline.
Pierrot reste seul, la face très blanche au milieu
du crépuscule.
SCÈNE CIXaUIÈME
PIERROT, PUIS LE DKCROTTEUR
Longtemps sa main arrondie comme une
lorgnette, il regardera s'éloigner les véritables
amis de sa femme. Quand ils seront très loin, il
esquissera une gigue désordonnée. Un décrotteur
complaisamment lui fera vis-à-vis.
Les délicats se comprennent.
Bras dessus, bras dessous, ils finiront par entrer
au cabaret.
La nuit descend. Elle enténèbre les encoignures
des portes, emplit le renfoncement des fenêtres,
creuse encore le porche de l'éghse ; elle coule sur
les pavés, monte sur les façades des maisons,
PIERROT se HPT 1 au E
aiguise l'arcte de leurs toits qui tranchent en deux
le disque brouillé d'une indécise luné.
SCÈNE SIXIÈME
LA siDOXiE (seule)
Dans le silence, au milieu du calme pénétrant
de la place, brusquement l'étalage du coiffeur
s'allume et, sur un rideau de chevelures, la
sidonie va étinceler, les épaules nues, la bouche
rose, les seins étayés par un corsage de satin
blanc. Elle étincelle. De la lumière l'encadre
d'une auréole et elle apparaît, immobile, la
physionomie placide, divine en son costume de
mariée, pareille à ces madones qui, dominant les
tabernacles dans le jour assombri des voûtes, se
détachent radieuses sur un fond d'or.
Elle frissonne.
Lentement ses yeux s'animent, sa poitrine
vibre. Un sourire lui met de la clarté aux dents.
Elle étire avec volupté ses bras, élevant ainsi une
ombre sur son visage et à sa céleste quiétude
succède une pàmaison avachie, une torpeur
éreintée de fille.
SCÈNE SEPTIÈME
LA SIDONIE, PIERROT
puis LES PORTEURS d'uNE CHAISE
La porte du cabaret s'ouvre et dans le jet d'une
flamme de lycopode, vomit Pierrot dont le nez
PANTOMIME 19
devenu rouge flamboie au centre de sa peau blême.
Sa main agite une bouteille; la sidonie le
regarde curieusement. Lui, après avoir tourné de
ci, de là, trébuché un peu partout, finit par
l'apercevoir et demeure fi'appé d'admiration.
Il la salue, la resalue, lui présente le goulot de
sa bouteille. Elle la repousse; il achève la fiole.
— \''oulez-vous me suivre au cabaret, lui
demande-t-il ?
Elle foit signe que non. Stupeur de Pierrot.
Que lui oftrirait-il bien? — Les femmes sont
corruptibles, il ne le sait que trop... Une robe,
peut-être ! . . . Oui, pourquoi pas ?. . . Une robe ! une
de ces robes soyeuses, à traîne toute couverte de
dentelles... Il la gratifierait aussi d'un chapeau,
d'un chapeau hérissé de plumes..., et de mules
décolletées, longues comme la main..., et d'une
cravate !
La sidonie refuse.
Il lui propose cent sous qu'il tire de sa poche
et se campe devant l'œil.
Elle refuse encore.
Il lui propose des promenades à cheval, une
tournée en barque, une partie de chasse, les
plaisirs de la pêche, un enlèvement en ballon, le
bal public.
Elle refuse toujours.
ÇUii silence. — L'orchestre joue l'air des bijoux
de Faust.)
PIERROT SCEPTI Q.U E
L'inspiration descend en Pierrot.
— Que penserait la sidonie d'un souper fin ?
Il se bourre de mets imaginaires, d'indigestes
gibelottes, de veaux mareno:o mous et fades.
Le visage de la sidonie s'illumine d'une joie
manifeste. Au bruit que lance le pétard d'une
bouteille de Champagne, la voilà qui godille...
elle est vaincue !
Pierrot hèle une chaise à porteurs.
La vitrine du coiffeur s'ouvre et la sidonie en
sort légèrement fripée. Elle foit bouffer sa jupe
blanche.
La chaise démarre. En avant ! les porteurs
galopent sur la place comme s'ils accomplissaient
un voyage.
On s'arrête devant la maison de Pierrot.
Celui-ci paie les frais, offre sa main à la sidonie
et monte vers sa chambre, après avoir arrosé
d'eau bénite la place ou précédemment se dressait
le cercueil et offert à sa compagne un bouquet
»- d'immortelles oublié par terre.
(Les porteurs et leur chaise s'enfoucent dans nue
ruelle).
SCÈNE HUITIÈME
PIERROT, LA SIDONIE
Tous deux montent dans la cliambre. A tâtons
Pierrot allume une bougie, puis se pince le nez
comme si une puanteur terrible le suffoquait.
P A X T O M I M E 21
« Les parfums de feue ma femme, pense-t-il. »
Et il asperge d'eau de cologne le parquet. La
sidonie tire son mouchoir; elle en désire un peu.
(Ici on entendra le tailleur se débattre dans
l'armoire.)
Aussitôt Pierrot impose silence au placard à
l'aide de ses poings, et les mains en avant, sans
plus long préambule, furieusement il marche sur
la sidonie. Elle étend son bras de cire; un bruit
sec retentit et Pierrot s'étale, les quatre fers en
l'air. Ses manières deviennent plus douces. Le
but immédiat serait de la violer, mais l'attaque est
périlleuse, les biceps de la sidonie très durs.
Donc il faudrait la déshabiller, le reste deviendrait
facile.
La sidonie témoigne qu'elle a faim.
■ — Très bien, répond Pierrot; alors mettons-
nous à l'aise, l'appétit me manquerait sans cela.
Je vais vous décoiffer.
(// enlève son habit').
Habituée par les exigences du métier à se
laisser peigner et dépeigner, la sidonie s'assied
avec tranquillité. Pierrot commence par lui cueillir
les fleurs d'oranger de sa coiffure et va les piquer
dans un pot de fleurs, sur la cheminée. Mécani-
quement, elles s'épanouissent sous ses doigts ; les
fleurs se transforment en oranges. Il les arrache,
les dépose au fond d'un tiroir, puis revient à la
sidonie. Sa belle coiffure lui reste dans les mains,
et son crâne bombe, dénudé, pareil à un dôme de
PIERROT SCEPTI ClV E
sucre rose. Pierrot l'époussète, y découvre une
boite, en soulève le couvercle, y prend une
écrevisse, l'épluche et la gobe. II s'assure que la
boîte est vide et, mécontent, rajuste la perruque.
Cependant l' écrevisse l'a mis en goût.
Il apporte une table chargée d'un litre, d'une
miche de pain, d'une lune de brie coulant.
La sidonie se sent heureuse. Enfin! elle va
manger... Mais Pierrot escamote le litre, jongle
avec le pain et se coiô'e du brie, comme d'un
béret.
— Pas d'amour, pas de nourriture !
Elle lui dépose un baiser sonore sur la joue; il
lui sert à boire.
— Du pain, fait la sidonie.
Pierrot tend son autre joue.
Et il se prépare à réclamer un troisième baiser
contre un morceau de fromage, quand un nouveau
vacarme du tailleur éclate dans l'armoire. Pierrot
se retourne, sourit. On frappe à la porte du
corridor. Un homme est là, dans la nuit, qui
désirerait entrer.
SCÈNE NEUVIÈME
LES PRÉCÉDEN'TS, UN iMARBRIER
C'est le marbrier qui vient apporter le projet
de monument qu'il a dessiné pour la morte. Il
entr'ouvre la porte et entre, le visage hilare.
Avant de savoir pourquoi il est entré. Pierrot
PANTOMIME 25
saute sur un bâton et le rosse, puis il lui tend la
main et on échange une accolade fraternelle.
— Cher maitrc, quel bon vent vous amène?
Le marbrier déroule un immense rouleau de
papier. Pierrot trouve le projet de monument
infect et le témoigne.
— Comment, infect?
Et le marbrier se fâche lorsqu'il aperçoit la
sidonie. Elle se tient rigide, sans regard, comme
une statue.
— Vous êtes donc sculpteur, monsieur Pierrot ?
— Pouh!... pouh! répond Pierrot..., quelque-
fois..., à mes moments perdus.
— Eh bien, permettez-moi de ne pas vous
complimenter.
On se dispute ; la sidonie se dresse avec un
geste de poissarde. Terrifié, le marbrier s'enfuit.
SCÈNE DIXIÈME
PIERROT, LA SIDONIE
Alors, brutalement, Pierrot d'une main mon-
trera le Ht à la sidonie, de l'autre décrochera un
coupe-choux de la muraille.
— L'un ou l'autre ?
— Ni l'un, ni l'autre, riposte la sidonie.
— Tous les deux, fait-il.
Et la sidonie s'échappe à travers la chambre.
Pierrot la poursuit. Des bruits sortent encore de
l'armoire ; d'un air froid à trois reprises. Pierrot
y enfonce son sabre.
24 PIERROT SCEPTIQUE
SCÈNE ONZIÈME .
LES PRÉCÉDENTS, UN GOMMEUX
Arrive un gommeux. Pierrot va pour le frapper
aussi, mais s'arrête en le reconnaissant.
— Mon vieux, lui chuchote-t-il à l'oreille,
procure-moi le plaisir de décaniller, tu le vois, je
ne suis pas seul.
— Ah! ah! fait l'autre. Mes compliments, très
cher, elle est exquise... et elle coûte?
• — Rien..., à l'œil! répond Pierrot.
■ — Bigre. {Il salue la sidoiiie.)
Celle-ci, en le voyant, s'est allumée. Le
gommeux qui s'en est aperçu, lui offre la main.
Enhardie, elle lui saute au cou; deux baisers
bruyants retentissent.
Le sabre de Pierrot tournoie, s'abat sur la
sidonie. — Elle tombe.
Cette exécution calme le gommeux. Devenu
soudain régence, il ramasse la demoiselle, la
dépose sur le lit, la recouvre du drap, dit adieu à
Pierrot et se cogne contre une vieille femme qui
entre. Celle-ci tombe sur le nez, ne bouge plus.
SCÈNE DOUZIÈME
PIERROT, LA VIEILLE, LA SIDOXIE
Le gommeux a disparu et Pierrot reste seul,
debout, sournois, entre les deux femmes.
Il va remettre son tranche-lard à la muraille et
PAXTOMIiME
revient vers la vieille. Il la flaire, la touche de
l'index, la secoue un instant..., puis lui lance un
coup de talon au derrière.
La vieille gigotte et se plaint.
— Elle est abominablement soûle , pense
Pierrot.
Il l'accable de coups de pieds. Mais frappé
d'une idée subite, il l'empoigne par les épaules,
la dresse et la colle contre le mur. La vieille,
comme piquée sur un bouchon, demeure immo-
bile au port d'armes.
Alors Pierrot prendra le litre et ira le poser
sous le nez de la femme qui halètera de bonheur
et suivra Pierrot marchant à reculons. Aussitôt
prés du lit, la vieille se souviendra qu'elle est
garde malade.
Elle devait venir pour celle qu'on a emportée,
mais le cassis l'a retenue chez une concierge, dans
une loge, au loin.
La sidonie gît sur le lit.
Celle-là ou une autre, qu'importe !
En titubant, la vieille allume deux bougies
qu'elle dépose sur la table de nuit, prend un bol
plein d'eau, y trempe un petit plumeau de
cheminée, goupillonnc la sidonie et retombe par
terre, dans un état d'ivresse plus complet encore.
Pierrot la roule ainsi qu'une futaille, dans un
coin.
— Ouf! à l'autre maintenant!
20 PIERROT SCKPTIQ.UE
Il se retourne; la sidonie s'est relevée, s'est
assise sur le lit et a regardé Pierrot rouler la vieille.
Celui-ci, à son tour, l'examine.
Il se jette à ses genoux; la sidonie le repousse.
Il la supplie de lui céder, mais c'est en vain. Il
l'implore, se tord à ses pieds, se livre à toutes les
grimaces de la passion. Rien ne peut échauffer ce
corps glacial.
Et brusquement Pierrot éclate de rire.
Il prend une bougie, l'approche des draps. Le
lit flambe; des jets de feu montent et crépitent;
l'incendie ronfle, augmente avec rage.
La sidonie se dresse au milieu du brasier, dans
sa robe blanche. Pierrot recule.
Des coups frappent dans le placard, de plus en
plus lamentables. La porte cède, un squelette,
celui du tailleur, s'abat.
Pierrot se précipite hors de la chambre, trouant
la fumée où bientôt s'étale la sidonie.
Les murailles rongcoicnt comme des gueules
de fournaises.
SCENE TREIZIEME
LES PRÉCÉDENTS, PEUPLE
A ce moment , le tocsin s'ébranle , monte ,
tonne. Des pompiers, une foule arrive de toute
part. Et tandis que les pompiers pomperont,
tandis que les bourgeois feront la chaîne, que
PANTOMIME
des femmes pousseront des cris de détresse,
tandis que les rumeurs grandiront mêlées au
lourd vacarme du tocsin, Pierrot, le sceptique
Pierrot, sur la place, se rue dans la boutique de
la mercière et victorieusement il en sort, tenant
entre ses bras la femme de carton, Thérèse! et
l'embrassant éperdument, il fuit avec elle loin du
sinistre.
ACHEVÉ d'imprimer
SUK LES PKESSES DE
J. CHÉRET, IMPRIMEUR A PARIS
Le i) Juillet 1881
EDOUARD ROUVEYRE
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Idée sur les Romans.
Le droit du Seigneur et la Rosière
de Salencv.
Les Tapisseries françaises.
Les Tapisseries d'Arras.
De la Poterie gauloise
Traité de décoration sur Porce-
. laine.
Annuaire de la Papeterie latine.
Notes d'un curieux.
Descriptions des collections des
Sceaux-Matrices.
Poésies de Prosper Blanchemain.
La verrerie antique
Coups de plume indépendants.
Les Fleurs boréales.
Ameublement et décoration des
appartements.
Art de vivre longtemps
Art d'avoir des enfants.
Reliure d'un Montaigne.
Documents pour servir à l'histoire
de la Librairie parisienne.
Tous ces ouvrages se trouvent analysés, — avec indications des prix et
justifications des tirages, sur le Catalogue de la Librairie Éd. Rouvuyri;.
imp. Jules chëret, 18,
PQ
2275
H24P5
Hennique, Léon
Pierrot sceptiaue
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